Fiche n°736
Avant-Propos

in Dictionnaire français-picard borain
Georges Larcin
micRomania Crombel, Charleroi, 2021


Le comble : solliciter une "Padlayô" pour cette tâche "boraine" !
Mais j'y ai pris plaisir et grand intérêt !


Préface

Qu’il me soit permis, d’abord, d’admirer le présent ouvrage, fruit de sept ans de travail, et œuvre de toute une vie. L’intérêt principal de ce dictionnaire, c’est qu’il dépasse largement les dimensions descriptives de l’inventaire (du picard borain, en l’occurrence) : il part de la langue française pour en donner les équivalents picards. Qui plus est, cet ouvrage est une abondante source de renseignements sur la culture boraine. Un exemple parmi tant d’autres : les pages consacrées au café (boisson) valent que l’on s’y plonge, ne fût-ce que pour le plaisir. J’entends encore dans notre rue Toria l’Borène invitant une voisine « Av’nèz, i d’a du frèch’ ! ». Quant au « chirlape », entendons son origine flamande « schuurlap » : comme nous disons du jus de chaussette, il s’agit là de jus de lavette ! (littéralement : « chiffon à récurer ») Vous y trouverez aussi  ouvrons encore au hasard  l’histoire des coups de grisou au Borinage depuis 1864, le pasteur Vincent Van Gogh à l’appui. Ou bien encore, s.v. « parti », l’histoire du P.O.B. Etc., histoire de différents lieux-dits, les différentes fêtes, etc., etc. En début de volume, figure un chapitre fort intéressant sur la grammaire et l’orthographe du picard. Et, en fin de volume, de précieuses listes lexicales facilitent les recherches. Nous savons toutes et tous qu’en écrivant en picard, ce sont les mots abstraits qui nous manquent le plus. Ici, vous en trouverez légions. Mais il y a plus : l’abondance de citations littéraires, poèmes, proverbes, chansons... Ainsi, cette Petite gayole à qui la voix chaude de Julos Beaucarne a donné une réputation internationale. Nous trouvons ici les « pois d’ chuc », les « courtôs », le droit de « marlotage » (s.v. « rusé »), des jeux d’enfants... mais aussi « la culture protestante », de riches allusions à l’histoire sociale de la région, la « Pucelette » et son fameux tour de Wasmes toujours en vogue depuis le moyen âge. Quant à l’Âlion, vous trouverez sa piste en fin de volume, dans les précieuses notices, s.v. « fêtes ». Car c’est aussi un avantage du présent ouvrage, de pouvoir partir d’un concept classé dans les rubriques thématiques. Par exemple : « Les insectes » : plus de quarante entrées ! Ou « Les vêtements », « Les traits de caractère »... Et si, par exemple, on se demande : « Tiens, que voulait dire encore a s’ cwayète ? », la réponse se trouve dans une longue liste de mots picards en fin de volume, quitte, de là, à rejoindre les rubriques adéquates des correspondants français. Jugez donc de l’honneur qui m’est fait, d’être sollicitée pour écrire cette préface ! Mais ne suis-je pas ici une intruse ? Les Borains, fiers de leurs industries, n’avaient-ils pour les « Manoûs d’ Bôdoû », ces « manants », ces « paysans », que léger mépris ? J’entends mon père corriger mon propos : « Le Borain a le cœur sur la main ! » Mais parfois, lui qui ne me parlait que français, me lançait : « Téch’ tu, tu ’st-é manoû ! ».Bien, je l’avoue, « Èj sû ’ne Padlayô » Par-delà le canal de Nimy-Blaton (ou de Mons à Condé), par-delà la Haine, qui se jette dans l’Escaut et donne son nom au Hainaut. Certes, dans mon enfance, le Borinage commençait au bout de la rue, à Douvrain, hameau de Baudour, commune aujourd’hui fusionnée avec Saint-Ghislain. Et au Lycée Marguerite Bervoets, à Mons, j’ai côtoyé plus d’une Boraine. Contrairement aux garçons de l’Athénée, qui n’avaient aucune honte à se parler en « patois », nous n’utilisions entre nous que le français. L’interdit, tant familial que scolaire, l’anathème jeté sur la langue picarde devenue dialecte par les caprices de l’histoire, ne nous empêchait pas d’avoir en nous cette langue ancestrale qui servait surtout  un peu comme le yiddish pour les Juifs  à parsemer nos phrases d’un brin d’humour. Pour dérider mon père, il me suffisait d’évoquer les « ôRRRanches » et les « mandâRRRines » de ma condisciple fram’risoûe... Lui, qui était incapable de rouler les RRR, jouissait de mes imitations boraines. Sept ans pour rédiger ce dictionnaire, Georges Larcin ? Et combien de fois n’avez-vous « sur le métier remis l’ouvrage » ? C’est que votre ouvrage, précieux outil de travail, est, par définition, à l’infini, inépuisable. Pour notre plus grand plaisir ! Rose-Marie François www.RoseMarieFrancois.eu

Sensible à l’honneur qui m’est fait : me proposer d’écrire une préface au présent ouvrage, je ne puis m’empêcher de souligner l’ironie du sort. Douvrainoise, j’appartiens aux « Padlayô », aux « manoûs d’ Bôdoû » quelque peu « méprisés »  c’est à dire « mal prisés, mal évalués » car paysans  par les Borains fiers, eux, de leurs industries. Mais que ce soit à mon école (Lycée Royal Marguerite Bervoets, à Mons, rue du 11 novembre !), ou bien dans le métier de ma mère (infirmière « visiteuse »), ou celui de mon père (chef de bureau à la Carbonisation Centrale, à Tertre), notre contact avec les Borains était quotidien. Sans parler de certain•es habitant•es de notre rue, par exemple cette folklorique « Toria l’ Borène »... Voici donc le moment des aveux : j’ai usé et abusé du présent ouvrage ! Tant de dictionnaires fonctionnent « à l’envers » (c’est pour la rime !). Pour qui se demande comment on disait encore « libellule », une seule adresse : ici, l’aoustrèsse répond présente !



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