Fiche n°662 Photo de La Belle Enceinte
La Belle Enceinte

Nos amours de Flandre et de Picardie
Roman
Maelström, Bruxelles, 2018


Le jeune Jan Frans doit quitter sa campagne thioise rongée par la famine pour aller chercher fortune dans les charbonnages de Picardie. Jean-François, tradition oblige, sera prof d’hébrec. Les deux (faux ?) frères aiment la belle Victorine. À son fils Charles, bibliothécaire, Rose demande « un livre qui donne envie de le relire, un roman qui serait également un poème qu’on écoute chanter. »
La Belle Enceinte a hanté l’auteure pendant trente-trois ans, le temps de comprendre, dit-elle, « comment les mémoires entremêlées de mes ancêtres, tant ouest-flandriens que picards hennuyers, passent des entrailles de la Terre aux feux nords du Solstice pour arriver jusqu’à nous, aujourd’hui. »

La très belle écriture de Rose-Marie François jaillit hors du temps, précède l'événement, se joue des chronologies, nous transporte en de vastes paysages libérateurs, vers des personnages inattendus, fabuleux, mystérieusement familiers.




RABAT : Du livre, de la ville, de la vie, l’art consisterait à trouver la bonne entrée ? Il y aurait à Quargneries-la-Belle-Enceinte quatre portes : la porte de l’Ouest, celle des Pluies; la porte Nord, la porte Neige ; la porte de l’Est, celle des Initiés ; la porte Sud, celle de la Mémoire.

Nous pouvons écrire […] des romans qui sont des poèmes. Nous inventerons des genres nouveaux dont nous n’avons pas idée maintenant. Edouard GLISSANT, Entretiens avec Lise Gauvin

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Épiphanies Un coup de cœur du Carnet et les Instants Rose-Marie FRANÇOIS, La Belle Enceinte. Nos amours de Flandre et de Picardie, maelstrÖm, 2018, 158 p., 16 €, ISBN : 9782875053138 Qu’est-ce donc que cette « Belle Enceinte » qui fait le titre du dernier opus de l’œuvre foisonnante de Rose-Marie François ? Une ville mythique ? Une somptueuse parturiente ? Un bijou totémique ? Ou la narratrice elle-même d’un livre qu’il serait vain de résumer sans en détruire la nature, si le sous-titre, lui, en éclaire l’intention : Nos amours de Flandre et de Picardie. Un sujet qui de l’aveu même de l’autrice l’a hantée pendant trente-trois ans pour comprendre « comment les mémoires entremêlées de mes ancêtres, tant ouest–flandriens que picards hennuyers, passent des entrailles de la terre aux feux nords du Solstice pour arriver jusqu’à nous aujourd’hui ». Au-delà de ces « précisions », s’ouvre l’univers fantasmagorique dont la démiurge, avant de s’envoler magnifiquement dans les épiphanies d’une mémoire enchantée, présente les différents « acteurs ». Précaution à la fois utile et proche d’un défi peut-être parfumé d’ironie légère tant leur réalité se partage entre les affleurements d’une histoire personnelle et l’onirisme symbolique des comportements. Ainsi, Rose-Marie François, belle enceinte elle aussi, après ces trente-trois années de gestation, offre-t-elle à ses ancêtres le fruit transcendé et longuement mûri de la semence dont ils l’ont fertilisée. L’athanor de cette alchimie d’une mémoire réinventée, c’est Quargneries – la Belle Enceinte, ville mythique (qui semble fondre en un seul les noms de deux localités boraines). Quatre portes lui donnent accès. Celle de l’Ouest (dite des Pluies), celle du Nord (dite la porte Neige), celle de l’Est (dite des initiés) et la porte Sud (dite de la Mémoire). « Du livre, de la ville, de la vie, – nous dit-on – l’art consisterait à trouver la bonne entrée… » Au cœur de ce lieu géométrique de la fabulation signifiante, trois personnages emblématiques parmi d’autres : Jan Frans van der Weyden, le Thiois devenu houilleur en Picardie pour fuir la famine et qui, sur le chemin du retour, découvre Quargneries – la Belle Enceinte, ses rites étranges et ses habitants dont la belle Victorine, artiste porcelainière qui deviendra son épouse. En « scène » aussi, le professeur Jean-François del Pasture – sorte de contretype inversé mais évident de Jan Frans – toujours en recherche de sagesse et enfin victime de la haine meurtrière de l’ancien mineur qui […] « a dans la tête des chaînes de slogans, un drapeau qui flotte sur des hordes qui réclament vengeance – de quoi ? Ils seraient bien en peine de le dire », une voix a chuchoté: « Tu vas détruire ton frère. Il est encore temps de te raviser.» Mais cette voix, il la fait taire. Il tue son jumeau, son semblable, son frère. Et dans sa rage, il n’entend pas voler les éclats de verre, il ne sent pas le sang qui sourd du poing qu’il a lancé dans son miroir. Dans son propre miroir ». Toutefois, ces étincelles projetées par le brasier grandiose qu’attise le souffle de l’Histoire et d’une aventure personnelle cherchant son chemin dans le labyrinthe des symboles, ne doivent pas occulter l’élément central de cette « féerie » : la danse de l’écriture. Chorégraphie envoûtante dont on pourrait dire comme de la voix du père de Jean-François : « …si mélodieuse qu’elle enfonçait la logique du discours », et que les lycéens « l’écoutaient comme un agréable bruit de source, un chant sans paroles, un message passé sans texte ». Mais que plus tard « on comprendrait ». À l’instar du service de table en porcelaine de Victorine, fruit d’un travail de plusieurs années, clairement emblématique de celui dont Rose-Marie François est elle-même la belle enceinte : « Plaisante à l’œil, cette vaisselle est surtout une périlleuse construction géométrique. Sur la table dressée, on suivit, d’un couvert à l’autre, l’itinéraire dédalesque de divers personnages peints en arborescences. On croirait voir représenté là le destin d’une famille, de plusieurs familles, alliées, avec leurs espérances, leurs querelles, leurs passions, leurs ruptures. » En précisant toutefois que « Si l’on écartait l’idée de repas, de nourriture, on pouvait très bien arranger les pièces (…) comme autant d’éléments d’un puzzle, jusqu’à créer un édifice, une sculpture fascinante : lisse et nacrée au soleil, chaotique et sombrement multicolore à la lueur des bougies. » Et c’est bien la magie de ce livre flamboyant que de gratifier celle qui s’acquitte ainsi d’un devoir impérieux, tout en offrant au lecteur la fête d’une langue aérienne, libérée, inventive, convulsivement poétique… Et dans le crescendo du ballet d’images d’une sensualité à la fois puissante et enluminée, la montreuse ne manque pas d’évoquer, en arrière plan, des menaces d’aujourd’hui. Celle qu’une certaine vulgarité fait peser sur une époque par ailleurs en proie à de dangereux écarts, mais surtout celle qui pèse sur une terre où s’avère bien difficile, comme il en est pour toute richesse, de préserver les cadeaux du métissage. Ghislain COTTON

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Inclassable ! Vraiment ! Mais oh combien superbe que

La Belle Enceinte de Rose-Marie François Nos amours de Flandre et de Picardie chez maelstrÖm reEvolution 2018 137pp + postface

Inclassable ? Oui pour moi ! Annoncé comme roman, il est ! Mais quel genre ? Il y a une part de biographie familiale (bien que remontant aux grands parents). Esotérisme. Onirisme. Psychédélisme même (il y est question de bœufs smagardins – bon d’accord en littérature cela peut vouloir dire « un éclat singulier « mais quand même ! Fallait trouver le mot !). Surréalisme.

Oui tout cela. Et même de la sensualité (c.à.d érotisme soft et très suggestif) avec (entre autres) une fête du solstice qui pourrait devenir un classique du genre ! Et poème ! Intemporel !

L’action se passe donc dans une ville aux quatre portes et région situées entre Ouest Flandre, Picardie et Hainaut ; la Belle Enceinte n’étant pas seulement femme comme les quelques paragraphes chauds dont je faisais état pourraient le laisser supposer mais aussi une ville. Au lecteur de la trouver. L’histoire de deux frères qui ne se comprennent pas toujours (éternel recommencement : Romulus & Remus, Caïn & Abel..) issus de la paysannerie – qui mineur de fond, qui enseignant - et qui aiment la même femme. Il y a de l’amour, de la mort, il y a de l’actualité, des réfugiés, de l’histoire locale, de la porcelaine, du textile, du rêve et une quête (aussi philosophique)..

Vous aurez compris qu’il s’agit d’une œuvre pour lecteurs exigeants et curieux ayant la main sur le (s) dictionnaire (s) car vocabulaire recherché, voire mots inventés - mais cela aussi c’est de la licence poétique - le tout dans un style impeccable. C’est très beau, subtil à lire, et donc encore plus beau ! A vaincre sans péril on triomphe sans gloire. J’ai aimé et ne vous livre dans mes chroniques que cela. Bonne lecture ! Gérard KERF 12/12/2018

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La poésie d'une mémoire réinventée, par AUDE QUINET, dans "La Libre / Gazette de Liège" du mardi 12 février 2019

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Coup de cœur de Philippe MINON :

Après le café littéraire de Fragnée-Blonden (Liège, le 29 mai 2019)

Les quelques jours qui ont précédé cette soirée littéraire, je me suis demandé comment commencer une belle journée sinon en ouvrant un bon livre. De gros vaisseaux blancs sénateurent dans un ciel bleu, des oiseaux griffent fugacement les cieux le temps d'un envol, et "En habit de gala, le gai prodigue, un sceptre fleuri dans ses frêles mains, Mai, Mozart du calendrier, voyage, saluant de son coche la campagne", je prends "La Belle enceinte" et je me laisse emporter par cette histoire qui se passe entre la Flandre et la Picardie. Ses personnages ; Nèle, Rose, Victorine, Jan Frans et Jean François font vivre un récit au ton poétique, baroque, réaliste à la fois. Jan Frans quitte le pays Thiois, un quignon de pain dans la besace, abandonnant des champs stériles pour des jours meilleurs en terre quargnerienne afin de retirer de ses entrailles des pépites noires pour nourrir sa famille. Jean François entre par la porte de l'Est, là où se lève le soleil et le mois de mai, celle des lumières du printemps. Tout ébloui aussi par les lumières de la connaissance ainsi que par l'amour en la personne de Victorine. Rose, accompagnée de ses deux taureaux, les deux Orphile, dont l'un Rêvé lui offre sa licorne veloutée pour un voyage nocturne d'extases infinies. Nèle, la courageuse et la dévouée poursuit son destin, si difficile soit-il. On sort intrigué, étonné de cette lecture où s'invitent à la fois la poésie et la prose pour décrire la nature, l'amour et les subtilités des rapports entre tous ces riches personnages. Quelques pépites : "La nuit est tombée d'un coup, épée noire, glace épaisse sans un regard de lune".[...] "L'heure mauve est passée. Au ciel, la nacre s'orange. [...] "Il essaie de se remémorer la couleur de mai, l'éclat de l'émeraude" [...]"Ils partent tous les trois, enivrés de voyages. Ils atterrissent dans les clairières, sur les berges des rivières. Elle ôte sa robe et ses plumes sous la caresse des mots. La jouissance n'en finit pas. Orphile Rêvé la fait pleurer de plaisir, écarter les bras, ouvrir les jambes. Alors, Été évince son jumeau, le supplante, encore vêtu de sa lourde cape à l'ourlet de laquelle claircit le jour levant; Rose le dévêt de sa nuit, cabre son propre désir de s'empaler sur sa licorne veloutée."[...] La Soleille et ses filles Solaires gardent la lumière contre le feu obscur des guerres du dieu soleil." [...] "Les mots se font écho, invités à danser sur la magie d'immémoriales poésies", lit-on sous la plume de l'auteure. Et de sensualités aussi. Philippe MINON, Bibliothécaire 31 mai 2019

Message de Daniel CHARNEUX :

Chère Rose-Marie,

Je viens de lire avec énormément de plaisir ta Belle Enceinte. Dès que j'aurai quelques minutes, je rédigerai une brève lecture. Sache déjà que j'apprécie beaucoup cette langue charnue, tout sauf lisse, cette écriture à gros grains, d'une infinie richesse. Un livre qui se passe des modes, oui, et j'aime ça. Univers intemporel d'un roman anhistorique, en somme. Univers où se mêlent faïence fine, bibliothèques ombreuses, enseignement ou lent saignement, picard et thiois, hébreu et grec, hommes et femmes, houilleurs et couleurs. Un texte de poète - de trouvère, troubadour, trovatore. Trobar ric plutôt que trobar clus : quelle richesse de vocabulaire (y compris de mots inventés), quelle sensualité, quel érotisme raffiné ! Bravo ! Daniel Charneux, octobre 2019

Note de Christine PAGNOULLE: Rose-Marie François, La Belle Enceinte. Nos amours de Flandre et de Picardie, Bruxelles, Maelström, 2018, 158 p., 16 €. Un roman ? Un poème ? Une reconstitution d’arbre généalogique ? Une plongée dans les complexités de l’histoire ? Un conte social où se confrontent le houilleur, Jan Frans, le frère confiné dans sa langue ‘étrangère’, et le professeur d’hébrec, Jean-François, qui jongle avec les langues à commencer par le picard et le ‘beau français’ ? Un récit mythique où se rejoue le drame de Balin et Balan, Caïn et Abel, Romulus et Remus ? Une histoire d’amour ? Un livre ensorcelant, qui passe sans crier gare d’une narration parfaitement réaliste à une vision onirique, mais tout aussi réelle, où symbolique et patiente reconstitution de lointaines rencontres s’enlacent dans une langue finement ciselée. La multiplicité des lectures est annoncée dès le titre. J’ai senti dans ce livre une véritable montée dramatique digne des tragédies antiques. Christine Pagnoulle Ma chère Rose-Marie, Je viens de savourer ta Belle Enceinte et savourer est un mot faible, car ce roman-poème est une merveille à déguster tant l'alchimie sensuelle des mots et le parcours conté du labyrinthe magique des temps et des lieux invitent ton lecteur à un festin de littéraires et rares - de plus en plus rares! - délices. Annie Préaux



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