Fiche n°490
L'Adieu, une manière élégante de faire voyager les sens

in Le Non-Dit n°95
Michel Joiret
Michel Joiret, Bruxelles, 2012





L’ADIEU, une manière élégante de faire voyager les sens.

Rose-Marie François nous promène en Europe, de Lettonie en Picardie, dans des lieux porteurs, habités par la mémoire et susceptibles de conforter notre appétit de vivre. L’Adieu est un fichier d’instantanés, saisis (presque volés) au détour d’une allée, à la croisée des chemins ou dans un fouillis d’arbres, de fleurs, d’oiseaux surpris. La démarche est réciproque, comme si la nature elle-même prenait langue avec le promeneur : « Les pins hochent la tête sur leur long tronc rouillé » ; « Et que dire des peupliers ? Ce qu’ils répètent de cime en cime : « Un sommet à peine franchi, en révèle un autre à gravir. »…

Mais on aurait bien tort de confiner le poète dans un emploi de paysagiste. En réalité, c’est Rose-Marie François elle-même qui dicte ses impressions, qui note ses « trouvailles », qui accorde son souffle au souffle du monde. Elle et sa maison de lectures, de connaissances, de rêves, de souvenirs. Comment ne pas s’émouvoir devant le fragile équilibre qu’elle observe entre la nature entre elle et la nature : « La cerise sur le balcon, l’oiseau l’a vue. S’est approché. Puis nous a vus. S’est envolé, horrifié. Il connaît la perfidie humaine. Et mon amour pour lui n’y pourra rien. ».

L’observatrice ne perd rien des lieux traversés ; mais les images intérieures défilent avec la même netteté. Sans doute faut-il voir dans l’œuvre qu’elle nous propose, un savant patchwork des cultures fondatrices qu’elle a si délicieusement assimilées. Consciente que la curiosité commande de vivre en bonne intelligence avec sa propre finitude, Rose-Marie réduit son angle de vue à son angle de vie. Dans l’Adieu, les moments d’émotion ne manquent pas. Ils s’inscrivent naturellement dans le sentiment de déréliction qui affecte le poète et lui inspire des séquences douces-amères d’une réelle efficacité :

« Ce croquement, ce bruit d’os sur la souche verglacée d’un bouleau qui, mort, tue encore, réalise l’incroyable prophétie du songe : dans ma chaise roulante prête à dévaler le grand escalier, je m’aperçois que j’ai oublié mon manteau. Que j’ai perdu mon chemin. Il suffit d’appeler mon père. Il viendra me chercher. Mais comment le pourrait-il, puisqu’il est mort ? »

La vérité du temps n’est évidemment pas celle du cœur ! « Distraire la mort » : voilà sans doute la règle unique. L’art de Rose-Marie François tient probablement à la qualité des instruments qu’elle installe pour déjouer les pièges du silence, de la désinvolture et de la plainte unique…

Michel JOIRET sur L’Adieu, de Rose-Marie François, aux Ecrits des Forges, Québec, 2011.



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