Fiche n°429
Rencontre Poétique Internationale de Dakar 2010

2010





Voyage

Heureusement que j’avais prévu de loger à Zaventem la veille de mon départ car le matin du 30 novembre, le Ring de Bruxelles était saturé de neige et d’accidents. L’avion a décollé avec près de deux heures de retard : il a d’abord fallu le dégivrer ! Arrivés à Dakar, les passagers de Brussels Airlines se sont retrouvés, avec une foule de pèlerins revenant de La Mecque, agglutinés autour du seul ruban distributeur de bagages en activité dans l’aéroport. Je suppose que ceci explique le fait que, trois heures après l’heure prévue, je n’aie pas trouvé la personne venue m’accueillir. Les numéros de téléphone que j’avais ne valaient qu’aux heures de bureau. Il faisait noir. Je me suis fiée à un policier qui m’a accompagnée jusqu’à un taxi… Mais quand il a vu que le chauffeur se bagarrait avec des collègues, il m’a fait rebrousser chemin en disant : « On va prendre un taxi officiel de l’aéroport. » Que n’y avait-il pensé plus tôt ! Le chauffeur m’a conduite à l’embarcadère pour Gorée (voir ci-dessous) et m’a demandé 60€. J’ai appris le lendemain qu’il avait simplement quadruplé le prix normal… Pas de compteur à bord ni, bien sûr, de reçu !

Logement

En décembre 1991, j’avais déjà été poète invitée à représenter la Communauté Française de Belgique à la Biennale de Dakar – y étaient aussi : Marc Quaghebeur, Marc Rombaut, Arthur Haulot. Léopold Sédar Senghor en personne nous avait reçus. Depuis 1998, les poètes invités par la MAPI (Maison Africaine de la Poésie Internationale) logent sur l’île de Gorée, une belle île au calme au bout d’une traversée de 20 minutes en ‘chaloupe’ dont les horaires nous hantaient. Gorée, 900 mètres sur 300, ni voitures ni vélos, avec son fort et son musée de l’esclavage, a été choisie comme haut-lieu de mémoire du commerce triangulaire (traite des Noirs envoyés en Amérique). Le petit hôtel propret, bien tenu, m’a rappelé les auberges de jeunesse méditerranéennes de mes pérégrinations estudiantines. Nous avons partagé avec les sympathiques habitants les coupures d’électricité, en savourant, au soir de nos longues journées, des grillades sur feu de bois de poissons frais pêchés… accompagnées de riz chinois. Programme Avant tout, j’aimerais souligner les qualités d’organisateur du poète Amadou Lamine Sall, dont je connais l’œuvre, remarquable, depuis le début des années 80. Que soit ici remercié ce fils spirituel et ex-secrétaire de Senghor ! Le programme était sans faille. Nous avons eu tous les jours l’occasion de lire/dire nos poèmes en des lieux les plus divers et chaque fois devant un public nombreux et intéressé (voir programme détaillé ci-joint). À en juger par les applaudissements et les contacts qui ont suivi ces lectures, on peut considérer que j’ai bien représenté notre Communauté ! Les rencontres proprement dites furent chaleureuses, enrichissantes, nous avons vite formé un groupe d’amis appelés à travailler ensemble. Des sept pays représentés (CfWB, Algérie, Colombie, Comores, France, Québec, Tchad – les Marocains n’ont pas pu venir), je connaissais déjà Samira Negrouche (qui m’avait invitée en octobre 2009 à une rencontre de poètes-traducteurs en Kabylie et à Alger), Claudine Bertrand (croisée en avril 2009 à Montréal, aux Rencontres Québécoises Interna-tionales des Ecrivains), et le Tchadien Nimrod (rencontré en 2008 au Centre de Recherches sur la Poésie Francophone Contemporaine de l’Université de Haïfa). À Dakar, nous n’avions pas de temps creux, c’est en soi une bonne chose mais cela explique que je n’ai pas pu me rendre à la Délégation Wallonie-Bruxelles pour y rencontrer, entre autres, Madame Anne Lange, qui m’avait aimablement fait transmettre sa carte par M. Abbas Diao. Le premier soir (1er décembre), la lecture à la Fondation L.S. Senghor a été quelque peu perturbée par des coupures de courant qui nous ont parfois obligés à nous passer de micros. Mais pour la plupart d’entre nous, l’enthousiasme portait les voix. En ce qui me concerne, j’essaie d’avoir toujours en réserve, pour le cas où la lumière ferait défaut, l’un ou l’autre texte appris de mémoire, ce qui est toujours bien apprécié dans les cultures de haute tradition orale. Ce soir-là, le prix de poésie de la MAPI a été remis au poète tchadien Nimrod.

Ancienne enseignante, j’ai été impressionnée par les visites dans les écoles, particulièrement le Cours Sainte Marie de Hann (5000 élèves !), qui est peut-être la plus belle école que j’aie jamais vue (2 décembre) : de la maternelle au Lycée, élèves en uniforme, locaux modernes, jardins magnifiques. La directrice, Madame Marie-Hélène CUENOT, nous a expliqué que l’école vivait comme en autarcie, y compris pour la construction des bâtiments : le personnel, qui se compte par centaines, comporte les corps de métiers les plus divers. S’il est un lieu qui répond à la proclamation par l’ONU de « 2010, année du rapprochement des cultures », c’est bien celui-là, avec ses nombreux drapeaux et, sur ses murs, des inscriptions permanentes de bienvenue en plus de dix langues. Parmi les merveilles du lieu, une haute tour triangulaire regroupe les noms des plus grands philosophes du monde entier et de tous les temps. (Photo ci-dessus) Suite au concours de haïku, adressé aux élèves de tous âges, nous avons assisté à la remise des récompenses par un délégué de l’ambassade du Japon.

L’après-midi, dans un centre culturel en construction au lieu dit Aux Mamelles, Brigitte Deruy et Catherine Savart, de Paris, nous ont lu La mort du jeune aviateur anglais, de Marguerite Duras, dans une adaptation d’Amadou Lamine Sall. Beau moment d’écoute… Le 3 décembre, nous avons été répartis dans trois lycées et je me suis retrouvée au Seydou N. Tall avec le poète français Julien Delmaire, qui est aussi slameur, et un poète sénégalais par ailleurs maire d’un faubourg de Dakar (rappel : la capitale compte 3 millions d’habitants). Pour nous écouter, deux classes terminales avaient été regroupées, ce qui faisait entre 70 et 80 auditrices et auditeurs attentifs, qui ont posé des questions pertinentes sur notre travail et sur notre vision des échanges culturels. Quand, à mon tour, je leur ai demandé quelle poésie ils étudiaient en classe à ce moment-là, ils m’ont répondu avec fierté : Victor Hugo, Les Contemplations.

La lecture à l’hôtel Sokhamon (3 décembre après-midi) s’est prolongée bien au-delà du coucher du soleil, auquel nous avons assisté depuis la terrasse face à la mer, où nous lisions nos textes. J’avais choisi de dire mon poème Froment Miel Airelles (voir photo ci-dessous). La directrice, une dame charmante, cultivée, s’est tout particulièrement intéressée à la performance de la poète invitée de Wallonie-Bruxelles : elle m’a longuement parlé après la lecture, elle me voyait bien revenir donner une soirée de poésie à ses hôtes.

Le 4 décembre, manifestation émouvante au cimetière Bel-Air. Nous avions été conviés dès l’avant-veille à composer (pour le lire sur la tombe du Poète-Président) un texte ayant pour thème : « Notre besoin de Senghor ». J’ai exprimé notre besoin, dans le monde entier, d’hommes d’État intelligents et lucides qui comprennent l’importance de la culture pour les peuples et les nations… et qui donc lui attribuent de généreux budgets ! Après quoi, visite au Village des Arts, où il nous était demandé d’écrire sur les toiles qui naissaient sous nos yeux. Sur : non seulement « à propos de » mais aussi, matériellement, « sur » la toile. Le merveilleux peintre abstrait Tita Mbaye et moi avons vécu une collaboration étonnante : tandis qu’il préparait son fond de toile, j’ai tout de suite écrit trois lignes dans mon carnet… En cours d’élaboration du tableau, il quêtait mes remarques et en tenait compte (je reconnaissais là ma jouissance de peindre ; n’ai-je pas été l’élève de Berthe Dubail ?) Quelle ne fut pas ma surprise de constater, à un moment donné, que mes trois vers « collaient » avec le commentaire que le peintre donnait de son travail. Le plus amusant est que lui-même ne savait pas d’avance ce qu’il allait « représenter » ! Il a tenu à ce que nous signiions la toile ensemble. Un peu confuse, j’ai donc mêlé mes initiales à son nom. Lui montrait sa toile en disant que nous l’avions créée à quatre mains… Il exagérait mais je n’étais pas moins heureuse que lui. (Voir photo ci-dessous.) Amadou Lamine Sall nous a expliqué que toutes les œuvres ainsi réalisées ce jour-là seraient vendues au profit du Village (60°/°) et de la MAPI (40°/°).

Le soir-même, remise du prix de Poésie Léopold Sédar Senghor. Charles Carrère, le lauréat, 82 ans, a eu cette parole inoubliable : « En de telles circonstances, j’ai deux discours. Un bref et un long. Vous aurez droit aux deux. Le bref, c’est : Merci. Et le long : Merci, beaucoup. » Tonnerre de rires et d’applaudissements.

Le 5 décembre, vu la chaleur et le programme sans relâche, nous appréhendions un peu le long trajet en car à travers la brousse. Mais ce fut tout le contraire d’un désagrément car nous avons enfin pu disposer d’assez de temps pour nous parler à l’aise et faire plus ample connaissance. Arrivés à Joal, nous nous sommes attardés dans la maison familiale du Poète-Président, transformée en musée. Nous y avons beaucoup appris sur l’homme, son pays, sa carrière prestigieuse.

Le « déjeuner » à Toubab Dialaw s’est prolongé en soirée de lecture, scandée de belles musiques sénégalaises, sur la scène d’un théâtre à l’architecture inattendue : heureux mélange de Grèce antique et d’arts locaux.

Le lundi 6 décembre, le poète Charles Carrère, qui est aussi un notaire retraité, nous a reçus dans le jardin de sa villa à Gorée. Là, j’ai eu le privilège de donner en entier ma chantefable (comique et grave) Panamusa (sur les langues menacées – prix de la Communauté Française pour les langues endogènes, 2009). Sitôt fait, il fallait se changer : Abdoulaye Wade, le Président de la République en personne, allait nous recevoir ! A 18 heures. Il ne fallait pas louper la chaloupe de 16 heures 30 car on nous attendait au débarcadère à 17 heures. Arrivés au Palais, nous nous sommes pliés au protocole et à la fouille des sacs que nous avons dû confier à un policier avant d’entrer dans la salle d’audience. À 21 heures, soit après trois heures d’attente, le Président était tout à nous. Le temps, en Afrique, nous le savons, ne se mesure pas à l’aune de nos stress et autres agendas surchargés. Quel apprentissage ! Et (dans tous les sens que vous voudrez) : quelle épreuve ! Le Président, un mathématicien, comprend l’importance de la culture. Le premier livre qu’il a publié en arrivant au pouvoir est un hommage à Léopold Sédar Senghor intitulé : Une parole autour de la Poésie (2004, postface d’Amadou Lamine Sall). Très ouvert aux autres nations, Abdoulaye Wade a notamment évoqué le modèle québécois dont il s’inspire en matière de politique agricole. Il nous a ensuite détaillé les « sept merveilles » de Dakar, construites entre autres par les Chinois, et a bien voulu m’en dédicacer une photo-ruban pour mon fils, jeune architecte.

Le 7, nous avons pris congé de Loulou, l’aubergiste, et rendu les chambres à midi. Poètes de Belgique, Québec, Togo, nous partions tous par vol de nuit. Nous avons donc dîné ensemble à l’aéroport et j’ai invité Pape Touré, du Ministère de la Culture du Sénégal, qui avait été d’une gentillesse et d’une efficacité remarquables pendant tout le séjour : on pouvait toujours compter sur lui et il n’hésitait pas à utiliser sa voiture personnelle pour nous amener à temps à l’embarcadère. Le 8 au matin, le billet que je venais d’acheter à l’automate de Zaventem n’était pas valable : trop tôt dans la journée pour un tarif senior. Après une nuit sans sommeil, ce détail m’avait échappé. Dans le train, j’ai donc dû racheter un second billet, au prix plein et « remboursable aux Guillemins ». Mais à la gare des Guillemins, dans une foule compacte qui errait en tous sens, guettant les annonce des haut-parleurs – il y avait grève à la SNCB – on m’a envoyée faire la file au guichet… où l’on m’a tendu un papier à compléter et à renvoyer par la poste. Cela m’a rappelé tous les formulaires que j’ai remplis en vain lors des grèves de la SNCF (je donnais une conférence à Nice) et que la Belgique et la France n’ont pas encore fini de se renvoyer… C’était trop ! J’ai renoncé. Grève SNCB ?! La simple idée d’avoir manqué être coincée à Bruxelles à 6h1/2 du matin après une nuit cauchemardesque m’a donné des frissons. Il faut dire aussi que je passais de 50°C à moins quelques… Dans ma rue, la voiture dérapait sur le verglas…

Rose-Marie FRANÇOIS



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